ITW : LES CONDITIONS D’UNE EXPÉDITION SUP EN AUTONOMIE

À la tête d’une expédition réalisée en SUP gonflables et en autonomie dans les eaux froides du Groenland, Ingrid, ambassadrice GONG, revient sur les conditions de cette aventure hors du commun !
Emmenant 5 personnes sur les traces de sa première aventure au Groenland où elle avait parcouru plus de 400km en autonomie, Ingrid démontre une nouvelle fois ce qu’on peut réaliser pas à pas, coup de pagaie après coup de pagaie. A son retour elle nous avait offert un aperçu de la pureté des paysages envoûtants de cette région du monde, et tout en nous faisant partager leur quotidien dans cet environnement exceptionnel. Aujourd’hui elle revient sur l’envers du décor, sa préparation, son équipement et les conditions rencontrées sur place pour, comme elle dit : “une expérience inoubliable dans un monde qui vous remet les pieds sur terre”. Voici son témoignage.

Comment t’es-tu préparée pour l’expédition ?
“Minutieusement ! Du choix du matériel de bivouac aux lyophilisés en passant par les fringues, tout est très sérieusement préparé. Le plus important sont naturellement les planches de SUP d’où l’idée de Patrice de créer des SUP Couine Marie Arctic spécialement conçus pour les conditions extrêmes. Cette édition Arctic possède une chambre centrale de 65L ce qui permet de naviguer en toute sérénité et sécurité, tout en restant très prudent. En plus de servir de flotteur de sécurité en cas d’avarie, cette double chambre permet d’augmenter la rigidité de la planche. Elle est fabriquée avec la technologie Woven Dropstitch triple couche soudée, ce qui la rend très résistante et solide face aux morceaux de glace qui parfois peuvent être très coupants. Elle a une excellente stabilité avec sa largeur généreuse qui permet d’évoluer durant de longues heures sans fatigue, et de transporter tout le matériel nécessaire pour l’expédition et les bivouacs.
Elle est dotée d’accessoires très réfléchis : des poignées ergonomiques (7 au total) et super pratiques pour les portages et la manipulation de la board à l’eau et à terre et d’un super système pour fixer les sacs étanches et les accessoires. Vraiment pratique !
Alors que mes premières expéditions étaient en solo, cette année j’ai décidé d’emmener 5 personnes sur cette aventure. C’est plus sympa en petit groupe, ça permet des moments d’échanges, des confidences et d’être tous ensemble. Ce nombre limité me permet de veiller sur le groupe plus facilement et d’intervenir en cas de besoin plus rapidement. Agnès, Aude, Nicolas, Arno et Marco ont fait partie de l’expédition cette année.”

Comment organises-tu la sécurité ?
“Je fournis les équipements de sécurité à savoir la combinaison étanche et le gilet de sauvetage. Pour le reste, il suffit d’être attentif à mes consignes et de les respecter. J’ai les yeux partout, j’assure la protection de tous et si on ne m’écoute pas : bimmm ! Un bon coup de pagaie derrière les oreilles ! Je rigole bien sûr. Je connais le milieu polaire et ses dangers. En cas de besoin, j’ai un téléphone satellite pour appeler des secours et une pharmacie de compétition.”
Quelles ont été les conditions météorologiques ?
“On a eu un vrai climat polaire : du brouillard, du gris, du soleil, du vent, de la pluie. Il nous a manqué la neige ! En revanche, au niveau température, il faisait anormalement doux, le réchauffement climatique arrive malheureusement pas à pas. On était aussi en plein jour polaire avec le soleil de minuit. C’est une période de l’année durant laquelle le soleil ne descend jamais au-dessous de l’horizon. Cela donne des couleurs très étranges. Une expérience déboussolant à vivre, jamais ils n’ont enchaîné autant de nuits blanches à la suite !”
Avez-vous rencontré des difficultés particulières ou des moments de fierté pendant le voyage ?
“Aucune fierté, on est vite remis à sa place au Groenland. On se sent bien petit au milieu de ces paysages grandioses. Un proverbe inuit dit : « Au Groenland, seuls les glaces et le temps sont maitres ». Proverbe vérifié car cette année le vent nous a empêché d’atteindre le front du glacier. Du coup nous avons exploré un fjord magnifique avec un lac et une très grande cascade. J’adore cet endroit. On y a dégusté les premiers oursins de l’été ! un régal !”

Icebergs, baleines, phoques, orques, conditions météo, quels sont les plus grands dangers de ce type d’expédition ?
“Connaître l’horaire des marées ne suffit pas pour savoir où planter les tentes. Une règle d’or dans les régions arctiques où se trouvent de « gros » icebergs (ou proche d’un front glaciaire) est de ne jamais rien laisser traîner sur la plage. Ni tente, ni SUP, ni sac… au risque de les voir disparaître à jamais, ou pire si vous êtes dans votre tente en train de dormir.
Il faut savoir que les icebergs (et les fronts glaciaires) sont « vivants ». Ils craquent, s’affaissent et se retournent, provoquant des déplacements d’eau énormes, entraînant des petits tsunamis de plusieurs mètres qui embarquent tout sur leur passage. Il est donc nécessaire de remonter tout le matériel, y compris le SUP (portages matin et soir), de plusieurs mètres (au-dessus de la ligne de végétation au minimum) tous les soirs, et la tente doit être plantée assez haut pour ne pas subir les assauts d’une vague potentielle.
Il faut savoir écouter la musique des icebergs. Souvent ils produisent des sons avant de se briser (craquements, grondements, sons cristallins). De même, de petits fragments commencent à se détacher avant la chute des plus gros blocs. Ces signes doivent vous alerter.
Comme règle empirique de navigation, il est recommandé ne pas s’approcher à une distance inférieure à 2x la hauteur d’un iceberg et à 4x la hauteur d’un front glaciaire. Cette règle n’est bien sûr pas absolue et dépend des conditions locales. Et bien sûr il est tout sauf recommandé de traverser sous une arche ou de pénétrer dans une grotte, même si parfois la tentation est grande.”
“Deuxième gros danger : les vents catabatiques. Un vent catabatique signifie un vent “descendant la pente”. C’est un vent gravitationnel produit par le poids d’une masse d’air froid (plus dense et plus lourd) dévalant un relief. Une fois le processus enclenché, la masse d’air froid s’accélère et la vitesse du vent peut être extrêmement élevée, surtout dans les vallées encaissées (100-200 km/h). Dans la baie de Disko, ils sont plus fréquents dans le “Torssukátak” (grand fjord, au nord de la baie, où se jettent deux fronts glaciaires), et ils peuvent empêcher la navigation et le passage durant plusieurs jours.
Leur apparition peut être très rapide, de même que leur disparition (une dizaine de minutes parfois). Ces vents donnent la sensation d’être plus chauds que l’air qui nous entoure (ce qui peut nous avertir de l’arrivée d’un tel phénomène). L’atmosphère est très claire et sèche et le ciel d’un bleu intense, très lumineux. Des nuages lenticulaires, perpendiculaires à la direction du vent, peuvent être présents au-dessus de la calotte.
Quant aux conditions météo, elles sont par nature imprévisibles, surtout sous ces hautes latitudes. Si par malchance la météo n’est pas favorable, il faut être prêt à supporter la pluie, le vent, la neige, l’attente…un jour, plusieurs jours ?
C’est une des principales difficultés, mais sur ce chapitre, il fait aussi souvent très beau, et 15 jours de ciel bleu ne sont pas des exceptions. Les températures estivales moyennes se situent vers 5°C, avec des minima de -10° et des maximas pouvant aller jusqu’à 15°. En général les précipitations sont faibles, mais il peut pleuvoir ou neiger à n’importe quelle saison de l’année. La température de l’eau est proche de 0°C.
Puis enfin les derniers dangers mais dont la probabilité est moindre : se faire manger tout cru par un ours polaire, ou plaire au Yéti et se faire enlever à jamais dans son igloo. Non je rigole, les ours polaires sont beaucoup plus au Nord ou sur la côte Est mais quand au Yéti…”

Quelles mesures avez-vous prises pour minimiser l’impact environnemental de votre expédition ?
“Le fait d’être en petit groupe restreint est moins impactant pour l’emplacement du bivouac. Tous les déchets sont ramenés dans un sac poubelle et déposés à la déchèterie du dernier village rencontré. J’élimine ou minimise toute utilisation de savon. De toute façon, soyons honnêtes, la toilette est généralement succincte, voire inexistante. Les besoins naturels, dans tous les cas, se font sur l’estran ou enterrés et il faut brûler le papier hygiénique. L’eau de vaisselle est évitée en faisant une boisson de l’eau bouillie utilisée pour nettoyer les restes de nos repas dans le bol ou la tasse.
Je fais très attention au choix de mon matériel d’expédition et de bivouac. Je ne fonctionne qu’avec des partenaires respectueux de l’environnement. Pour la nourriture, j’achète local au maximum puis pendant l’expédition c’est la nature qui m’offre le nécessaire : cabillauds, capelans, moules géantes, oursins, myrtilles, cèpes…même le thé du matin je le ramasse sur la toundra.”

Cette expérience vous a-t-elle sensibilisé davantage à la protection de l’environnement et au changement climatique ?
“Personne ne revient le même du Groenland. Ça fait réfléchir sur beaucoup de choses : sur la vie, sur sa vie, sur notre société, … A chaque retour j’ai beaucoup de mal à me réadapter. Après 2 mois passés là-bas je suis restée enfermée chez moi une semaine. Dehors, il y a trop de gens, trop de bruit, trop de voitures, trop de consommation, trop de jugements.”
As-tu une expérience amusante ou touchante à partager sur cette aventure ?
“Rencontrer une baleine est toujours un moment émouvant. Voir mon petit groupe s’émerveiller à l’approche d’une baleine à bosse, c’est juste magique. C’était le rêve de Nicolas. Je suis tellement heureuse qu’il ait pu vivre ce moment, ici au Groenland. Debout sur un SUP, il a pu l’approcher de très près. C’est pour ces moments inoubliables et magiques que je partage mes aventures.”
Comment comptes-tu partager cette expérience avec d’autres personnes ?
“Ce séjour est proposé à d’autres aventuriers en herbe pour l’été prochain et le suivant (2025). Je suis en train de créer d’autres aventures, avec d’autres destinations… mais toujours au-dessus du cercle polaire. Des aventures à suivre mais aussi à partager ! J’ai depuis fait une autre aventure polaire, de l’autre côté du Groenland. J’y ai rencontré une maman ours et ses deux oursons. C’était impressionnant.”
Merci Ingrid et on attend avec impatience le récit de ta prochaine aventure !
Votre commentaire
superbes images et reportage au top, ca fait rever !